« C’est dimanche, j’arpente les petites routes du Parc Naturel du Quercy. C’est très beau, même quand il fait très moche. Quand tout à coup, sur le bas côté, je vois un petit panneau fait-main posé sur un tréteau : ATTENTION, chasse en cours. Je suis resté comme un marsouin devant le Nouveau Testament. Mais qu’est-ce que je quoi-je que ce truc donc ??? Il faut que je fasse quoi ? Un bon kilomètre me sépare de l’ancien moulin que j’habite et bien que gauchiste jusque dans mes infrastructures fondamentales, ce jour-là je ne porte pas mon gilet jaune fluo. Alors que faire ? Me mettre à ramper comme un soldat au Vietnam ? Au risque d’être confondu avec une galinette cendrée ? Fallait-il signaler ma promenade à la société de chasse du coin ? Dois-je porter un gilet par balle ? Jaune fluo lui aussi ? Ou juste ne pas me plaindre si je prends une balle perdue ? Autant de questions m’assaillent devant autant d’absurdité sordide. J’hésite à appeler ma fille, des sanglots dans la voix comme dans les films ricains, pour lui expliquer que son papa ne reviendra peut-être pas. « Mais papa, snif snif, tu es à la guerre ? Non ma puce, je rentre du marché … » Ha oui parce que je vous ai pas dit, mais la saison dernière un chasseur de 30 ans a tué Morgan, 23 ans et 1 mètre 90, en prétendant le prendre pour un sanglier. Il coupait tranquillement du bois chez lui. ATTENTION, chasse en cours. C’est bien la première fois que je ris devant ce qui ressemble tout de même à une menace de mort par procuration. Mais c’est à l’avenant de tous les arguments des chasseurs pour justifier leur goût glauquasse pour le massacre d’animaux et pourquoi pas, le meurtre : stupide, insensé, sordide, dangereux. La prochaine fois, j’embarquerai le panneau avec moi et je me rendrai à la gendarmerie pour leur demander la substantifique raison de son existence. En attendant, mettez vos gilets jaune, la chasse suit son cours. »
Extrait de « Retour à l’anormale », texte de Maréchal Feignant